Des creux, des bosses, des fêlures
J'ai une façon étrange d'appréhender les gens.
D'appréhender leur représentation mentale je veux dire.
Etrangement j'ai l'impression d'utiliser le toucher en faisant ça.
D'être privée de la vue et d'explorer quelque chose de nouveau avec les mains, du bout des doigts.
Tout doucement.
D'effleurer les creux, les bosses et les fêlures.
Surtout les fêlures.
J'ai l'impression d'être une experte en fêlures.
Poser instinctivement le doigt là où ça fait mal, là où la continuité se brise.
Sans savoir ce qui se cache sous cette ligne de fracture.
Sans comprendre ce qu'elle recouvre.
Sans que la personne en face n'en ait rien dit.
C'est difficile de travailler à l'instinct.
Surtout quand on a un solide esprit scientifique derrière.
C'est difficile de sentir quelque chose sous ses doigts sans être sure qu'on ne s'est pas trompée.
Mais finalement le plus dur c'est après.
Quand on apprend à connaitre la personne et à attribuer quelque chose à ces creux et ces bosses.
Surtout quand au détour d'une conversation, l'interlocuteur met des mots sur ces fêlures qu'on avait senti, qu'on savait être là.
C'est toujours quelque chose de presque violent pour moi.
Impression de les prendre complètement dans la figure.
Alors que je savais qu'elles étaient là et qu'il n'y a pas l'effet de surprise.
Quand ce qui a été perçu se superpose avec ce qui est...
Besoin d'un temps d'adaptation.
Sensation de choc frontal.
Et retenir ce "aaahhh mais c'était donc ça???" qui pique la langue, parce que personne n'aime révéler à son insu un peu de ce qu'il est.
Le problème c'est que je ne peux guère m'en empêcher.
Pas plus que je ne peux m'empêcher de percevoir par ce biais-là un certain nombre de choses qu'on ne veut pas me dire... parce qu'on n'a pas envie ... parce qu'on ne veut pas me blesser... que sais-je.
Le problème c'est que j'ai fait mienne cette phrase qui dit que parfois un silence vaut mieux qu'un long discours.
Ce n'est pas parce qu'une chose n'est pas dite qu'elle n'est pas su...