Sas de décompression
L'autre jour, lors de ma visite annuelle chez le dentiste pour contrôler que je me lavais toujours bien les dents (c'est le cas) et que mes dents de lait restantes n'étaient toujours pas tombées (oui il m'en reste 2 ou 3), il me pose la question rituelle : "vous travaillez dans quoi déjà?".
Je lui explique et là, air de commissération : "oh mon dieu, ma pauvre ... pas de chance..."
J'en suis restée bouche bée.
Non! Pas "pas de chance"! Oui je bosse avec des gens qui sont tous susceptibles de mourir dans les mois qui viennent, et qui s'ils survivent en ressortiront changés à jamais.
Mais pourquoi partir du principe que c'est quelque chose qu'on m'a imposé et pas une choix délibéré de ma part?
Parce que ça en est bien un... qui a demandé des sacrifices mais pour lequel je me battrais bec et ongles.
Et qui a un prix.
Au quotidien.
Je n'arrive pas à laisser toute ma journée derrière moi à peine la porte du travail franchi le soir. J'ai besoin de temps pour ça. D'un délai une fois rentrée chez moi. Mon sas de décompression.
C'est comme si je me repliais sur moi-même. Comme si je faisais le tour de moi-même pour rapatrier tous les morceaux et retrouver mon unité en me disant "ca c'est moi, le reste ce n'est pas moi".
Pendant ce temps là je suis juste incapable de m'intéresser à quelqu'un d'autre, d'écouter quelqu'un d'autre, de prendre soin de quelqu'un d'autre. Ce n'est pas seulement que je ne VEUX pas, c'est que j'ai l'impression d'en être physiologiquement incapable.
Mon esprit vagabonde, mon attention est incapable de se fixer sur ce qu'on me dit.
Ce n'est vraiment pas le moment de me parler, vraiment pas le moment de me demander quoique ce soit.
Je passe mes journées en contact avec des gens, à les écouter, à les aider, à les réconforter, quand je rentre chez moi je ne supporte plus les autres. Je me recroqueville sur moi-même. J'ai BESOIN d'être seule. Et d'avoir ce temps uniquement pour MOI.
Mais c'est difficile à expliquer à mon entourage qui n'a visiblement pas les mêmes problèmes que moi pour couper avec son travail (pas le même milieu de travail non plus ... ). Difficile de leur faire entendre que non là maintenant même si on ne m'a pas vu ni parlé de la journée, ce n'est pas le bon moment pour me raconter ses journées et ses emmerdes avec collègue Boulet ou de ce qu'a dit la voisine chez le boucher. Je m'en fous. A ce moment-là, je m'en fous complètement. Je ne peux pas écouter, je ne peux pas m'y intéresser! Je veux juste être tranquille!
Les seules interactions qui me sont supportables dans ce temps là en général se font via Twitter, parce que c'est non intrusif et que je peux y couper court quand je veux.
Encore plus pénible pour mon entourage ... Ca dure assez longtemps en général.
Si je finis à 17h, il faut bien attendre 19h-19h30 pour que j'arrive à revenir à un contact social.
Si je finis plus tard, je passe parfois la soirée à décompresser.
Ce n'est pas évident pour les gens autour de moi. J'en ai conscience.
Impression que je ne suis jamais disponible pour eux, pour les écouter.
Parfois c'est vraiment dur pour moi aussi de subir leurs reproches ...